Le vol dans les transports en commun parisiens représente 80% des infractions dans le métro, chaque année, représenté par environ 9539 plaintes. Et c’est sans compter ceux qu’on laisse faire en toute impunité.

À l’attention de la RATP

Chère RATP,

Aujourd’hui, je vais te conter la fois où un pickpocket tout habillé de vert est venu frontalement me dépouiller de mon épargne dans tes transports en commun.

Mon réveil n’avait pas eu le temps de sonner que déjà je sautais du lit, surexcité de mon départ imminent pour Budapest, ville du Országház, du Paprika, et de la Pálinka. Fin prêt, plusieurs chemins s’offraient à moi pour rejoindre l’aéroport de Paris Orly. J’avais méticuleusement calculé mon budget, afin d’économiser au mieux, et ainsi profiter pleinement de mes vacances à l’étranger. Aussi, utiliser tes transports me paraissait être l’idée la plus adaptée. Un peu plus long que les navettes concurrentes, mais qui m’auraient permis d’économiser l’équivalent d’un bon repas sur le Danube. C’était surtout la possibilité de rentabiliser les 75,20 € mensuels de mon Pass Navigo. Alors au diable l’esprit pratique et l’efficacité, j’allais arpenter l’ignoble ligne de métro M13, la ligne M6, la ligne M7, puis encore la ligne M7, mais dans l’autre sens, et finir cet infini voyage dans le tram T7, pour un total de 36 stations, et enfin débarquer à l’aéroport d’Orly, sans frais supplémentaires.

Tout se passa bien sur le début du trajet. Je galère pour passer tes portiques de merde qui ont été étudiés pour ne faire passer que des anorexiques, mais vraisemblablement pas les voyageurs avec une valise. Je sauve in extremis une grand-mère de la guillotine dont le dit portique de merde s’est refermé sur son cadis. Je fais 12 fois le tour de chaque station pour trouver un escalator en état de marche. Je monte dans le métro pour un câlin groupé qui, vu l’affluence, ressemble davantage à une partouze. Bref, une journée comme les autres.

Aussi, je me suis fait une joie de porter mes bagages de palier en paliers, puisque outre ta spécialité de gestion de l’espace digne d’un architecte décérébré artiste incompris, tu aimes créer des marches inutiles à défaut d’ascenseurs, et passer outre à tes obligations qui ont été les tiennes depuis 2005, de rendre accessible aux personnes handicapées tous les métros, avant 2015. Bonne année 2019 d’ailleurs ! Une manière probablement bien à toi d’aider les Parisiens en fauteuil roulant à comprendre que dans la vie, il faut être valide débrouillard.

Plan du réseau RATP accessible aux handicapés

Plan du réseau RATP accessible aux personnes handicapées. 9 stations sur 303. Sources en bas de l’article

On la connaît l’excuse qui consiste à dire que le métro parisien est vieux. Seulement, ceux de New York et Londres le sont tout autant, et sont bien mieux équipés que toi. Et puis, chaque jour qui passe où je vois des grands-pères jouer à Candy Crush sur leur smartphone me fait penser qu’on dépeint le vieux qu’on veut bien être.

Mais bref, comme je ne suis ni handicapé, ni obèse, ni vieux, ni même encore un papa avec une poussette, tel un singe essayant de faire rentrer un objet cylindrique dans un réceptacle carré, j’apprends à faire rentrer comme je peux une valise d’une largeur de 55 cm à travers un portique de merde qui en fait 50.

Presque arrivée à la dernière station de métro, la rame reste à quai plus longtemps qu’à la presque normale. Une voix résonne alors dans toute la station :
« Suite à un incident dont on ne vous dira pas la raison, même si c’est probablement juste parce que notre matériel ne s’est pas mis à Candy Crush, le trafic est interrompu sur toute la ligne pour une durée indéterminée. »
Ayant un avion à prendre, et puisqu’il ne me restait plus qu’une station à traverser, je pris la décision de quitter la rame pour faire le reste du chemin à pied. Cela serait fatigant, mais les incidents dans le métro, c’est une habitude ça arrive. Je sors tant bien que mal ma lourde valise du wagon qui n’est pas au même niveau que le quai. À peine le temps de me retourner au son de la fermeture des portes, que je contemple naïvement le métro repartir sans moi. La communication, ce n’est pas trop ton truc non plus.

Mais une fois les 15 minutes de marche à tirer mon bagage, et moyennant quelques litres de sueur, j’aperçois le tram. Il est là. Quelle chance. Mais je me dépêche, parce que je sais qu’attendre sur ton réseau, c’est souvent synonyme d’attente debout à louer son temps de cerveau disponible, puisqu’il y a sur ton réseau bien plus d’espace publicitaire que de sièges pour poser son délicat fessier.

Je me jette ainsi dans le tram, pendant que je m’installe, l’esprit victorieux, annonçant la phrase la plus tristement ironique de toute ma vie :
« Ha ha, tu ne me feras pas manquer mon vol, RATP ! »
Viennent alors les contrôleurs.

J’ai toujours un œil amusé quand je les regarde. Il y a bien eu une fois où j’ai eu une triste affaire avec un contrôleur sur le réseau SNCF parce que je n’étais pas parvenu à sortir sur leur borne mon billet acheté d’avance. J’ai bien cru que la police allait venir me chercher, accompagné probablement de la BAC, de la DGSI, du RAID, du GIGN, du FBI, de la NSA, et de Jack Bauer avec un sac en plastique. Autant ne pas renouveler l’expérience. Et ça tombe bien de toute manière, je suis tout à fait incapable de frauder d’une quelconque façon. L’esprit léger, je tendais au contrôleur mon Pass Navigo, avec un grand sourire. L’inspecteur prit un air sérieux:
« Monsieur, vous n’avez pas validé votre Pass Navigo, je dois vous verbaliser de 5,00 €. Vous souhaitez régler comment ? »

Aussi désespérément inexpressif que devant une émission de Cyril Hanouna, je mis plusieurs secondes avant de prononcer le moindre mot.
« Monsieur, vous m’entendez ? Vous devez payer 5,00 € car vous n’avez pas validé votre carte de transport. »

« Mais voyons Monsieur le contrôleur de la RATP (Régie Autonome des Transports Parisiens, ndlr)
Il doit forcément y avoir une erreur. Si je n’avais pas validé mon Pass Navigo, comment aurais-je pu passer vos portiques de merde ?
– Monsieur, regardez par vous-même, mon dispositif m’indique que vous avez validé votre dit Pass à la gare de voici Montparnasse.
– Ha, et bien vous voyez, Monsieur le contrôleur de la RATP (Résolution Anticipée Totale du Problème, ndlr) vous voyez bien que j’ai validé mon Pass Navigo. Je suis content que vous sachiez finalement déchiffrer votre probablement très compliqué dispositif lecteur de carte.
– Ha non, mais vous comprenez, vous avez validé votre pass à la gare de Montparnasse, mais pas en entrant dans le tram. Regardez, je vous montre. » me présentant ainsi son boitier. Puis il ajouta :
« Je peux le repasser si vous voulez. » comme s’il pensait que le Dieu de la technologie m’aimait à ce point. ( Ce qui est normalement le cas, mais j’avais dû le vexer en ayant essayé d’emprunter un moyen de transport totalement vétuste. )

Alors, oui, je savais qu’il fallait passer ma carte de transport devant la borne pour le valider. Bon, ce jour-là, j’ai oublié cette règle visiblement impardonnable. J’étais devenu un fraudeur, un délinquant, un criminel. J’en étais d’autant plus désarçonné que j’étais assis juste à côté d’un valideur. Je demandai à revoir ma carte pour vérifier quelque chose.

« Peut-être n’est ce pas la bonne carte, Monsieur le contrôleur de la RATP (Raisonnement Amorphe des Têtes Pensantes, ndlr). Peut-être que… » et pointant mon doigt au loin :
« Ho mon Dieu, là-bas, regardez, un PDG de la RATP avec une conscience professionnelle ! … Ha non, j’ai dû me tromper… »
Je profitai de cette subtile diversion pour tenter furtivement d’effleurer mon Pass Navigo devant la borne. Mais je fus démasqué malgré mon incroyable dextérité.
« Ha non, ça ne marche pas comme ça, Monsieur. Il fallait faire ça avant. Maintenant, vous devez payer 5,00 €, c’est la loi. C’est marqué partout qu’il faut valider son titre de transport. Ce n’est pas pour rien si on affiche partout des petits dessins avec des lapins. Alors, vous souhaitez régler comment ? »

Je donnais alors 5,00 € au racketteur de la RATP (Rien À Taper, ndlr), montant que l’on sait être la base pour arnaquer en toute impunité. Quelques deniers dont 10% ira directement dans sa poche, en prime « paiement immédiat », que l’on choisit généralement à défaut des 30,00 € de frais de dossier supplémentaire si le criminel ne paie pas immédiatement.

Et voilà comment tu m’as fait les poches, me rangeant bien calmement dans le rang de ceux qui n’ouvrent pas trop fort leur gueule, malgré l’humiliation publique.

Pourtant, il y a des solutions pour éviter ça. Tu pourrais juste considérer que si j’ai une carte qui est créditée, nominative avec photo rappelons-le, c’est que je ne suis pas un fraudeur, puisque j’ai déjà payé. Surtout que quand un utilisateur achète un ticket par SMS, ce dernier n’a pas besoin de le valider. Tu vas sûrement me dire que c’est important pour toi de comptabiliser les voyageurs. Devine quoi, au lieu de mettre des valideurs qui ne détectent ton pass qu’une fois que le voyageur l’a sortit de son merdier bien au fond de son sac, tu pourrais mettre des lecteurs un peu plus forts aux entrées de tes bus et de tes trams pour lire la puce NFC du Pass Navigo, afin que ce dernier se valide tout seul à l’entrée. Devine quoi, la technologie existe déjà : ce sont les portiques antivol dans les magasins. Équipe-toi vite! On pourrait croire que tu le fais exprès pour grappiller facilement un peu d’argent supplémentaire de la part de tes utilisateurs.

En tout cas, c’est sûr, plutôt que de me faire faire les poches par toi, chère RATP (Rien À Tirer Putain, ndlr) la prochaine fois, je me paierai les services de la navette concurrente.

Thierry BOUILLET

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