La SNCF, c’est comme une grève de cheminots, comme une chanson de Jul, ou l’avis d’Éric Zemmour : impossible de l’éviter, mais on s’en passerait bien.

À l’attention de la Société Nationale des Chemins de Fer

Chère SNCF,

Beaucoup sont critiques des entreprises qui brassent des milliards. Je les rejoins parfois. Mais d’un autre côté, je pense qu’il est de mon devoir de citoyen éclairé de valoriser les entreprises qui rendent notre monde meilleur ! Défendre avec ardeur les structures qui œuvrent pour des services rapides, efficaces, agréables et faciles d’utilisation. Appuyer les affaires florissantes pour l’économie française. Préserver les services populaires et aux tarifs abordables pour tous. Protéger et encourager les sociétés où le client est respecté, écouté, et pris au sérieux. Le problème, chère SNCF, c’est qu’aujourd’hui, on va plutôt parler de toi.

Dans cette lettre, il y a des choses que je vais m’abstenir d’évoquer. Comme ton incompétence générale sur la gestion des trains à l’approche des fêtes de fin d’année. Comme près d’1,7 millions de pigeons voyageurs, j’allais utiliser tes services pour effacer ma réputation de fils indigne qui ne rend jamais visite à sa mère. Dans l’impossibilité de mettre une option sur des billets, type de réservation tout droit sortie d’un monde parallèle où tes offres ont un sens, j’ai été obligé de faire ma réservation en gare, un samedi, manquant ainsi la minuscule fenêtre de tir pour faire la douloureuse expérience de tes « petits prix » disponibles à ceux qui réservent le premier jour de la mise en vente, un trimestre à l’avance, entre 06h00 et 06h03. Car pour acheter un billet en personne, il semble inévitable de poser un jour de congé. Je passais ainsi quelque deux heures trente à scruter la moitié de tes guichets fermés avant d’obtenir le Saint Graal. Tout ça pour manquer ce train, le jour J, puisque tu as eu la bonne idée de le faire partir avant l’heure, sous prétexte qu’il était « déjà complet ».

Flairant la catastrophe, je me jette sur ton application pour y découvrir des alternatives. Aussi, je constate des billets de TER en gare de Bercy à l’incroyable rapport qualité/hors-de-prix. Plus de cinq heures à être entassés comme des sardines. Un train à 65,60 € qu’on penserait à destination de la Pologne. Quarante minutes avant le départ, je distinguais juste les 3-4 wagons que tu as bien voulus afférer, sans avoir ne serait-ce que l’opportunité de monter sur le quai complètement plein. Pourtant, tu dois bien savoir combien de tickets tu vends. Et puis, quand tu vois que tu es débordé comme ça, tu peux aussi arrêter de vendre des billets pour promettre des voyages que tu ne pourras pas honorer. Bah oui, parce que, sur le terrain, on pouvait acheter des places sur les bornes, juste à côté de tes agents qui eux incitaient carrément à choisir le covoiturage ou à passer le réveillon de Noël le lendemain. Je crois qu’il faut songer à leur expliquer le concept.
Ainsi, je vais clore ce sujet avec une petite astuce rien que pour toi, pour que tu puisses mieux t’organiser : Noël, ça revient tous les ans ! Ne me remercie pas. C’est vrai que j’avais dit que je n’évoquerai pas ce sujet, mais j’aimerais savoir combien d’utilisateurs ces événements dégoûtent au point qu’ils ne viennent pas faire la queue en gare pour réclamer remboursement. Tu ne communiques jamais ce chiffre. Aussi, je ne peux me défaire de l’idée que tout ça ne doit pas te déranger outre mesure.

En revanche, c’est promis, dans cette lettre, je ne te ferai pas le procès qui t’est trop régulièrement fait par l’ensemble de tes utilisateurs d’être toujours en retard. Je pense que les retards, ça peut arriver, et puis ce serait un peu facile de te tacler sur ce sujet. Alors, les retards, c’est promis, on n’en parle pas. Vraiment. Promis, juré, craché. Pas de discussion sur les retards. Juré, les retards, c’est non. Vraiment. Vraiment, c’est promis, on n’en parle pas.

Par contre, je dois te parler de ma plus sombre journée sur ton réseau, qui commença sur ton site internet.
Comme tu invites à le faire, j’ai fait ma réservation à l’avance, pour payer moins cher. Comme d’habitude, je fais face à l’absence totale de logique du système capitaliste, où l’on paie un même trajet de train plus cher si celui-ci est bondé. Quand bien même, il est de toute façon impossible d’y voir clair dans tes tarifs, à moins d’avoir fait polytechnique avec option contre-marketing, si bien que quand on me demande le prix d’un Lyon-Paris, ma réponse est : entre 32,00 € et 137,00 €, subventions de l’État déduites. Note que le même trajet en avion coûte 140,00 € chez Air France (qui ne touche pas de subvention).
Quoi qu’il en soit, une fois de plus, j’ai abdiqué face à ton monopole, m’accordant sur le fait que ma maman saurait, par une valise discrètement gonflée de conserves, agrémenter de légumes du jardin mes pâtes au beurre.

Je valide ainsi l’achat sur internet sans avoir besoin de jeter un œil sur ma carte bancaire, ce qui a tendance à me faire un peu flipper. Suite à une triste affaire avec le constructeur de mon téléphone, j’étais depuis quelques temps contraint à ne posséder pour smartphone qu’un appareil davantage plus proche d’un vieux téléphone à cadran rotatif. J’avais ainsi la possibilité de lire ta confirmation par email, mais pas de faire tourner ton application mal codée pour obtenir le QRcode faisant office de billet. Je pris alors l’option « j’imprime mon billet en gare », parce qu’on peut être à la fois écolo et plein de contradictions. La preuve en est que je sollicite encore tes services.

Le jour venu, je me dirige en gare, 30 minutes à l’avance, pour retirer mon billet à une borne. J’entre dans la machine les informations nécessaires au retrait de mon titre de transport, au rythme effréné d’un caractère toutes les trois secondes, ta borne ne supportant guère les dactylographes. Ce n’est pas comme si j’avais un train à prendre… L’écran affiche mes informations de voyage. J’insère ma carte bancaire nécessaire au retrait des billets. L’écran affiche alors : « Erreur. Annuler ? » laissant pour seul choix « Annuler » Je m’y prendrai à plusieurs reprises, sans résultat. Et pour cause, ma carte bancaire venait juste d’expirer. Mais je ne m’en rendis pas compte avant 2 jours, ma chère banque n’ayant évidemment pas pris l’initiative de me le rappeler. ( Bisou à toi, cher Crédit Mutuel )

Je pris donc la décision de me rendre au guichet. Mais aucun guichet n’était ouvert. Oui, à la Gare de Lyon Part-Dieu, aucun guichet ouvert à 20h30. Alors je me pointe sur le quai, en espérant trouver un agent compréhensif. Et ce fut le cas. Il m’annonce ne pas pouvoir m’aider, mais m’invite alors à monter dans le train et d’expliquer la situation au contrôleur.
L’associable que j’étais redoutait de devoir s’expliquer avec un être humain. Même si l’on peut se poser la question du caractère humain de certains agents SNCF. Et pour cause, j’allais avoir affaire au pire individu jamais rencontré dans toute ma vie. Aussi, pour éviter de choquer mon lectorat, ce dernier sera illustré sous la forme d’un chat totalitaire et sadique.

Thierry Bouillet prend son TGV comme un bon pigeon

Je pense sincèrement ne pas être si loin de la réalité.

Installé tranquillement à ma place, j’attendais le premier passage des contrôleurs. Tiens, curieux, ils contrôlent directement. Ok, je ne panique pas. Ça fait longtemps que je n’ai pas pris le train, peut-être sont-ils devenus compétents après tout. Aussi, j’attends calmement mon tour.

« Votre ticket Monsieur.
– Bonjour Monsieur le contrôleur de la SNCF. Désolé d’avance pour ce problème, mais il m’a été impossible d’éditer mon billet sur les bornes, sans que je sache pourquoi. J’ai parlé à un de vos collaborateurs sur le quai qui m’a invité à voir avec vous ce qu’on pouvait faire. »

Dès les premiers mots, l’agent ne put retenir un léger sourire sur son visage rien qu’à l’idée de me châtier, et prit un félin plaisir à me laisser parler dans le vide, sans y répondre. Je le regardai fixement, sentant l’embrouille dans laquelle je m’apprêtais à embarquer.
« Monsieur, si vous n’avez pas de billet de transport, je dois vous verbaliser. » annonçât-il en caressant soigneusement sa moustache.
– Non, vous m’avez mal compris Monsieur de la SNCF, mais ce n’est pas grave, je me doute bien que la situation est compliquée quand on travaille dans l’administration. En fait, j’ai bien acheté un billet de train, je n’ai juste pas pu l’imprimer sur vos bornes.
– Monsieur, si vous n’avez pas de billet de transport, je dois vous verbaliser. Vous auriez dû venir me voir directement. » miaulât-il d’un nihilisme fauve.
– Mais attendez, c’est ce que je fais! Vous n’avez pas fait de premier passage. Je peux vous montrer le mail de réception, preuve de l’achat, si vous voulez. »

Le matou prit mon téléphone entre ses griffes pour regarder de plus près. Puis il se mit à feuler. « Monsieur, rien ne me prouve que c’est une vraie facture. Vous avez peut-être annulé votre commande. »
Comme il ne s’agissait même pas d’une commande annulable, je commençai à être agacé. « Regardez, voici mon nom et mon numéro de billet, un appel en gare pour vérifier, et votre collègue vous dira que ma commande est en règle.
– Monsieur, je ne peux pas faire ça. Imaginez si je dois faire ça pour tout le monde. »
Ne comprenant pas que je ne lui demandais pas de vérifier les infos pour toute la rame, mais seulement moi, je finis par abdiquer devant tant de bienveillance, et lui fit mes plus beaux yeux d’homme abattu.

L’acariâtre chat de gouttière dit alors :
« Bon d’accord, je veux bien faire un geste. Je vais vous faire acheter un billet au tarif « normal », et vous pourrez vous le faire rembourser par la suite. » Eh oui, il y a forcément des guillemets dans une phrase d’un contrôleur qui vous parle de tarif « normal ».

J’ai dit : « C’est combien ? »
Il a dit : « 96,00 €. »
J’ai entendu: « 3 millions de dollars. »

J’ai hurlé un « Quoi?! » qui a réveillé les trois wagons limitrophes. Car si j’avais bien en tête que ce montant devait être remboursé, j’étais inquiet que cela prenne du temps, ou pire, que cela ne se fasse pas. Désemparé, je dégaine ma carte bancaire, qui évidemment ne fonctionnera pas plus, et qui aura le don d’agacer le chapardeur.
« Nein, nein, nein. Votre carte bancaire ne passe pas, vous avez un autre moyen de paiement ?
– Comment ça un autre moyen de paiement ? Vous acceptez les chèques ?
– Vous n’avez pas du liquide ?
– Genre 96,00 € en liquide ? Si, dans ma mallette remplie de billets. Vous avez la monnaie sur 500 ?
– Vous pourriez emprunter de l’argent à des passagers. »

Cette remarque, aussi improbable soit-elle, ne m’avait pas traversé l’esprit, mais c’est vrai, il n’y a pas marqué que le colportage est interdit dans la rame après tout. Je préparai donc naïvement mon discours dans ma tête :
« Bonjour Madame. Bonjour Monsieur. Je sais que vous êtes souvent sollicités, malheureusement je suis actuellement dans un train SNCF sans avoir pu imprimer mon billet de train, et je suis menacé par un percepteur. Le moindre petit geste est bienvenu, si vous avez une pièce, un billet, un ticket restaurant, 3 millions de dollars, ou un vermifuge, cela m’aiderait beaucoup. »

Je me vis alors naïvement expliquer à l’animal que je n’allais certainement pas me mettre à faire la manche, qui plus est pour financer un billet que j’avais déjà acheté. Mais le gros matou avait l’air de plus en plus pressé d’en finir. Il avait probablement plein de choses à faire, comme s’étouffer avec ses poils. Il conclut alors :
« Je vais avoir besoin de votre carte d’identité, afin de vous verbaliser de 158,00 €. »

Je poussa un cri de stupeur à en réveiller un mort. Puis, afin de faire valoir mes arguments dignement, je lui lança une courte phrase digne de Proust, à savoir un monologue de 35 minutes. Cela n’eut guère d’autre effet que de lui faire perdre son temps, ce qui objectivement me procura au moins une certaine satisfaction. Puis, toujours d’un calme olympien, je conclue :
« – Non.
– Comment ça, non ? Bah si.
– Non.
– Si vous refusez, je peux toujours demander à la police de nous attendre à la sortie du train.
– Tenez, ma carte d’identité. »

Bah oui, parce que, outre le fait que je ne me voyais pas déranger la police pour une affaire aussi pathétique, je redoutais que ces derniers puissent avoir autre chose à faire que d’être conciliants avec un migrant et prendrait vite parti de l’entreprise étatique, sans trop étudier le dossier. Pour autant, j’ai accepté avec la condition que Monsieur Chat décrive exhaustivement la situation, afin d’assurer le remboursement. Ce dernier mis presque 20 minutes supplémentaires à rédiger cette note sur son minuscule dispositif numérique à cause de ses grosses papattes. Je finis ainsi par obtenir un petit bout de papier avec la mention « Le client n’a pas pu retirer son billet à la borne et sa carte de paiement est refusée à bord lors du paiement. Merci d’annuler sans frais ce procès-verbal lors de la présentation du dossier voyage si pas d’annulation. » Une victoire fermement débattue. Sur quoi je lui conjure de poursuivre son chemin, ne voulant pas le retarder, puisqu’il avait encore probablement plein d’autres gens à inquiéter.

Pour payer une amende, c’est facile, tout peut se faire en ligne. Mais quand il s’agit de faire une réclamation, il est demandé de l’envoyer en recommandé avec accusé réception. Histoire que ce soit bien relou. Comme il est demandé le billet original, je me redéplace donc au guichet d’une gare quelques jours plus tard. Quelques longues et précieuses minutes de ma vie plus tard, la guichetière me sort mon billet comme si de rien n’était. Je joins alors à mon épais courrier ledit billet, ainsi qu’un RIB, la facture imprimée, copie de la carte d’identité, copie des cartes de réduction, le diagnostic de mon toucher rectal, et l’amende imprimée par le contrôleur qui sent encore l’urine. Le tout sous un pli épais à 6,20 €, des fois que ça en décourage un ou deux.

Mais tu sais quoi, ma naïveté me perdra. L’individu de terrain, le contrôleur, ayant lui-même demandé d’annuler cette prune, avoue l’injustice de la situation. Je n’aurai jamais eu à payer la note. Et pourtant, j’ai obtenu en réponse un avis de demande de paiement de 25,00 € puisque « Tout voyageur est censé détenir un titre de transport quand il monte dans le train. » On n’arrête plus la logique avec toi, hein.
Marre de me faire prendre pour un abruti, je décide donc de faire appel à la dernière solution pour laver mon honneur, un médiateur SNCF, à qui je retourne le colissimo de 18 kilos comprenant une lettre supplémentaire expliquant une fois de plus la situation, en prenant soin de rester dans le politiquement correct et d’enlever à ton encontre toutes les insultes qui ressemblent à « espèce de sale cheminot ».

Que nenni! Parce que au fond, un médiateur SNCF, c’est aussi objectif et impartial qu’une brève de Christophe Barbier. D’ailleurs, c’est dans le titre de son poste : médiateur SNCF. C’est même carrément un oxymore, un peu comme parler d’une « TVA sociale », d’un « président normal », ou d’une « écotaxe », ça pue l’embrouille. Alors j’ai fini par payer cette injustice. Payer un supplément parce que tu n’es pas foutu de faire des distributeurs de billets qui marchent ou de mettre du personnel compétent à disposition. Une petite taxe SNCF en somme.

Voilà, j’en terminerai là. Je sais dorénavant grâce à toi que je suis allergique aux chats. Et que je te déteste, chère SNCF. De tout mon être. Et c’est la peur et le stress qui m’envahit chaque fois que j’ai affaire à toi.

Et puis sérieux, ce n’est plus possible. Fais quelque chose. Tu es toujours en retard !

Thierry BOUILLET

Extrait du film « Grégoire Moulin contre l’humanité », par Artus de Penguern.